Le regard d’Antoine Baby, sociologue, sur la 4e Rencontre nationale et le travail des OCLD

Monsieur Antoine Baby a eu la grande amabilité de nous faire parvenir un texte qu’il a proposé à trois grands quotidiens. Ces derniers n’ayant malheureusement pas jugé opportun de le publier, nous souhaitons le partager ici avec vous.

Réinsertion scolaire : avec les OCLD, tous les espoirs sont permis

Antoine Baby, sociologue
Professeur émérite de la
Faculté des sciences de l’éducation
de l’Université Laval

Je reviens d’un voyage au pays des merveilles. Ce n’était pas la première fois que je m’y rendais et ce ne sera sûrement pas la dernière. Je reviens de la 4e rencontre nationale des organismes communautaires de lutte au décrochage scolaire (ROCQLD). On pourrait tout aussi bien dire de lutte pour la persévérance scolaire de jeunes qui traînent souvent un déficit existentiel depuis leur naissance. Les gens qui ont mis sur pied ces organismes et les portent la souvent à bout de bras, sont des gens simples, enthousiastes, d’abord facile, plus de femmes que d’hommes, qui travaillent dans des conditions souvent pénibles, à faire en sorte que des jeunes pour qui l’école dit ne plus pouvoir quoi que ce soit, se reprennent en main et arrivent à remettre leur vie sur la track avec une émouvante et solide résilience. Des gens de belle allure et de nourrissante compagnie.

Ils sont regroupés en une cinquantaine d’organismes qui tentent avec beaucoup d’imagination et de passion de récupérer les jeunes que l’école a laissé tomber en cours de route, ceux et celles qu’elle a échappés pour une raison ou pour une autre : décrocheurs scolaires, décrocheurs sociaux, décrocheurs familiaux, toxicomanes et troubles de comportement, jeunes adultes analphabètes, enfants d’immigrés en difficulté, bref ceux et celles dont personne ne veut plus. Une sorte de dernier recours pour aider ces jeunes à reprendre goût à la vie, mais aussi pour leur redonner le goût d’apprendre et d’apprendre-à-apprendre tout au long de la vie, comme l’arme suprême de leur émancipation.

Pour y arriver, ces OCLD ont imaginé et développé des programmes et des activités de toutes sortes, activités de prévention, de réinsertion et d’inclusion scolaire, de rattrapage et de transition, d’hébergement des jeunes, d’alphabétisation, d’aide aux devoirs, d’aide aux familles d’immigrants, d’intégration des jeunes immigrants et tant d’autres encore. À suivre les ateliers de la rencontre, on en vient vite à la conclusion que rien n’échappe à leur capacité de rendre service à plus démunis. Pourtant ces gens travaillent fréquemment dans des conditions très difficiles marquées au coin d’une double précarité, celle du financement de leur organisme aussi bien que celle de leur propre poste de travail. Certains dirigeants des OCLD consacrent jusqu’à 40 et même 50% de leur temps à trouver du financement et le reste, à en espérer le renouvellement ! Quant aux intervenantes/nants, ils ont généralement, à qualification et expérience égales, des conditions de travail inférieures à celles qu’ils auraient en milieu scolaire régulier. Il ne faudrait pas croire pour autant qu’ils y sont par défaut. Plusieurs ont d’abord travaillé dans le cadre scolaire et ont choisi, par la suite, ce champ de pratique particulier qui est en voie de devenir indispensable parce qu’il joue un rôle qu’aucun autre groupe d’organismes ne joue.

Tant et aussi longtemps que des enfants et des jeunes échapperont à l’école, tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas mis en place, à l’exemple de la Finlande (1) , l’école commune fondamentale qui donne à tous les enfants de toutes conditions socio économiques, un bagage scolaire commun de neuf ans, nous devrons soutenir autrement qu’en promesses électorales et en discours grandiloquents cette remarquable école de la rue. Il y a quand même des limites à ce qu’on abandonne à leur triste sort ces quasi bénévoles qui portent à la force des poignets ce qui est devenu avec le temps une indispensable annexe au système scolaire. Mais cet appui assuré ne devra pas se faire à n’importe quelle condition et en particulier par voie d’intégration autoritaire au système scolaire dit régulier.

Pour assurer que l’on conserve à ces innovations les qualités de leurs étonnants et durables succès, il faudra que l’aide des pouvoirs publics soit discrète et respectueuse de leur autonomie actuelle, mais soutenue, beaucoup plus soutenue et durable. A fortiori en ce qui concerne l’aide venant de sources privées. Les fondations associent trop souvent leurs contributions à leurs conditions, ce qui fait qu’on retrouve des traces de leur ADN, par exemple, jusque dans les projets éducatifs des écoles. Il faudra donc revoir les conditions du financement des OCLD de manière à ce qu’il soit à la fois plus stable, plus généreux, de plus longue durée et qu’en fin de compte, leurs dirigeants consacrent moins de temps à quêter des sous. Mieux intégrés aux instances de décision en éducation sans leur être assimilés, les OCLD devront aussi avoir voix au chapitre et participer avec voie prépondérante aux décisions qui les concernent.

Telles sont les inévitables conditions d’assistance à l’innovation éducative d’initiative locale qui est généralement allergique à la bureaucratie tyrannique. Le Québec peut se compter chanceux, très chanceux de pouvoir tabler sur des telles initiatives pour suppléer aux carences des autres organismes et institutions éducatives et venir en aide à des jeunes trop souvent laissés à eux mêmes sans ressource. Ne serait-ce qu’en raison du travail accompli et de l’espoir qu’ils suscitent, le Québec doit d’ores et déjà une reconnaissance agissante aux organismes communautaires de lutte contre le décrochage ?

(1) Baby, A (2013) : «Qui a eu cette idée folle ?» – Essais sur l’éducation scolaire, Québec, PUQ, 302p.